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Mai 1998


 

L'article de Pierre Fliecx

Le pari de l’enfant terrible de Santiago

 

Le jeune prodige chilien est venu à Paris pour vaincre.

Mais aussi et d’abord pour convaincre.

Prouver qu'il a grandi, et est désormais digne de son talent.

Sacré défi!

 

Le petit crétin. Émis par John McEnroe, longtemps numéro 1 mondial des joueurs de tennis caractériels et donc expert en matière de sales gosses des courts, le jugement prend toute sa valeur. Le vénérable Sports Illustrated lui-même, qui n’est pas un journal versant facilement dans le scandaleux ou le sulfureux, n’avait d’ailleurs pas hésité à titrer L’homme le plus haï du tennis. Bref, dire que l’image de Marcelo Rios n 'a pas toujours été à la mesure de son talent, raquette en main, est un doux euphémisme.

Insolent, capricieux, prétentieux. Le tableau que dressent ses pairs est aussi noir que sa chevelure terminée par une queue qui lui donne une allure de jeune étalon fougueux et indomptable (au pays, la coupe de El Chino fait fureur). Mais c’est vrai que. du haut de ses 22 ans, Marcelo n’y est pas toujours allé du revers de la raquette, n’hésitant pas a assassiner d’une phrase ses adversaires. à refuser d’entamer les conférences de presse en raison de la présence de tel ou tel journaliste, ou à lancer à Monica Seles, qui le précédait dans la file trop lente à son goût de la cantine de Roland-Garros : " Bouge ton gros..."

Pas vraiment un poète, le compatriote de Pablo Neruda. Mais un talent unique qui n’a pas tardé à exploser. 1993 : Marcelo est champion du monde junior. 1998 à la veille de Roland-Garros. son compteur affiche dix victoires en tournois, dont cinq déjà pour la saison en cours. Mieux : actuellement n0 3 mondial, le Chilien est même parvenu, pour quelques jours, à détrôner l’indéboulonnable Pete Sampras du sommet du classement.

La volonté, on ne peut reprocher à Marcelo d’en manquer. Avec lui, ce qui est dit même n’importe quoi est dit. Et ce qui est promis tout autant. Promesse originelle du petit Marcelo à son papa, le jour de ses l3 ans:" Un jour, je serai numéro un mondial. "

Et pour lui, la fin justifie les moyens. injures, explosions de colère, excentricités : tout est bon. D’autant

que le lascar est doué. Un tennis de feu d’autant plus efficace qu’il repose sur cette donnée imparable: il est imprévisible, Entendez par là que ses adversaires ne savent jamais ce qu’il va faire, quel coup il va décocher.., pour l’excellente raison que. bien souvent, Marcelo lui-même ne le sait pas !

1998. Coup de tonnerre : chacun, dans l’entourage du bad boy annonce l’arrivée du Rios nouveau. Sans que le loup ne se soit littéralement changé en agneau, on nous promet un Marcelo assagi. courtois, patient. Coïncidence: ses résultats n’ont jamais été aussi bons, aussi constants et réguliers. Les victoires s’enchaînent : Auckland, Key Biscayne, Indian Wells. Rome et enfin Sankt Poelten, à quelques heures du début des Internationaux de France. Si bien que Rios a débarqué à Paris dans la peau du superfavori. Coïncidence encore, cette métamorphose correspond au retour, dans son entourage, de Lany Stefansky, un coach qui. en son temps, s’occupa... de John McEnroe. Un spécialiste incontesté des fortes têtes, roi de la persuasion, qui n’y est pas allé par quatre chemins:

Marcelo, avec Michael Jordan et Tiger Woods. tu as l’un des trois plus beaux sourires du monde. Alors, montre-le aux gens, c’est ce qu’ils attendent.

 

Le public de Roland-Garros, c’est vrai, attend tout de cette opération séduction. Lui qui s’est enflammé. l’an dernier, pour le rafraîchissant parcours du Brésilien Kuerten, est prêt à faire de Marcelo son chouchou. A suivre dans son tennis fou ce gaucher infatigable, cet attaquant capable d’angles impossibles. ce matamore qui n’hésite jamais à faire de l’ombre à ses adversaires, sur le court comme en dehors. Agassi ameute les foules en se promenant au bras de son épouse, la superbe et délicieuse Brooke Shields? Voilà Marcelo déambulant à celui de Patricia. Sa jeune (17 ans) et ravissante (miss Santiago) compagne. Une rivalité à distance dont bruissent désormais les gradins du monde entier.

Roland-Garros 1998. Quel millésime pour Marcelo Rios ? Et quel Marcelo Rios ? Car chassez le naturel. il revient, comme El Chino. queue de cheval au vent, au galop. A quelques heures de son premier coup de raquette sur le central, le prodige chilien s’est fait rattraper par son passé. Par l’une de ces petites phrases assassines dont il est si friand et qui pourrait bien se retourner contre lui. Celle parue , l’an dernier, dans Tennis Magazine:

—Je n ‘aime pas beaucoup les Français. Pourquoi ? C’est comme ça. je ne sais pas l’expliquer...

Guéri, Rios ? Convalescent, au mieux. Et avec seulement quelques jours devant lui pour se rétablir, vaincre et convaincre. Bon courage, Marcelo, la balle est dans ton camp. Une défaite prématurée serait un terrible gâchis !

Le figaro magazine, N° 16730 du vendredi 29 mai 1998